Le samedi matin, c’est l’oreille encore un peu bourdonnante que l’on se réveille dans notre hôtel. Heureusement le petit déjeuner parfaitement diététique entreprend de chasser les fantômes de la nuit et les souvenirs de Sensational et de sa pinte de bière.
Avant l’ouverture des portes de la Custard Factory, c’est le moment d’une petite promenade en ville, histoire de faire un peu de tourisme. Une promenade, c’est l’occasion de voir les effets de la Crise sur le commerce de spiritueux, et sur les petites industries du coin.
Birmingham c’est aussi ça, des pubs condamnés, des immeubles aux fenêtres aveugles, des murs de brique tagués.
Puis une visite du très chouette musée qui a une aile entièrement dédiée au pré Raphaelites, un pré goûter dans un salon victorien sorti de nulle part ; et on revient à l’usine pour visiter la très chouette boutique du festival.
, avec le merch des artistes du festival, des labels très cools (et très extrêmes, ça change de la Route du Rock), des revues comme Wire, et bien sûr des pâtisseries parce que la noise ça donne faim.
Premier concert de la journée, Lau Nau, une jeune finlandaise qui fait du folk bidouillé. Toute seule sur la scène, avec quelques jouets (décidément) et sa guitare (il y a aussi des pédales d’effet et un lap top quand même). Une petite voix d’elfe pour chanter un mélange de chansons un peu traditionnelles, en anglais ou en finlandais.
C’est très joli et son setup live est assez inventif, mélange de boucles crées en direct, de guitare et d’effets de voix (un peu comme ce que fait Rivkah à peu près, ou bien des gars comme le chapelier fou ou d’autres solitaires enragés).
Changement de salle, là l’ambiance est un peu différente, ici c’est Sir Richard Bishop qui joue, un mythe vivant de la musique expérimentale (oui, à Supersonic c’est assez fréquent les mythes, même les plus obscurs), membre des Sun City Girls, co-fondateur du label Sublime Frequencies, et donc guitariste virtuose.
Il est tout seul sur la scène, assis, avec sa guitare. Devant lui, le public est assis, bien installé, nuques attentives toutes tournées vers le hippie qui joue de la guitare.
L’art de Richard Bishop est assez opaque et pas très accessible pour les non-initiés dont je suis sans doute, je ne vois là que démonstration de technique sans vraiment d’âme, remarquable seulement pour le nombre de notes jouées et la vitesse d’exécution, mais pas vraiment « pop » ou mélodique (vous pouvez, pour vous faire une idée plus précise écouter l’album en lien).
Mais les fans, les gens qui connaissent le mieux son œuvre, attentifs et auditeurs entrainés, y voient des mondes cachés, des trésors d’inventivité, des moments d’hypnose collective, et un temple de la musique expérimentale où se côtoient raga indien, surf musique, flamenco, jazz swing et musique classique.
Après un petit moment de guitare, nos oreilles assoiffées de bruit nous amènent dans une autre salle, appellée The Old Library, un peu plus petite. Sur la toute petite scène Kevin Drumm installe ses oscilloscopes et ses machines à bruit.
Pour information un des disques du monsieur.
Le concert commence, Kevin Drumm est assis sur une chaise, à une table, sur la table un tas de machines. Comme prévu c’est assez bruyant, mais on sent les intentions hypnotiques de l’artiste. Il est très inspiré par le black metal et la musique électro-acoustique, et l’on ressent la profondeur d’une matière sonore, en perpétuelle et subtile évolution, au gré des modulations légères de fréquences. Il fait une musique ambient, dépouillée des oripeaux esthétisants, des drones qui viseraient une sensorialité pure, des sons qui parleraient directement aux sensations, au corps. On reviendra plus tard dans le report sur ces sons qui parlent au corps. Et pour le moment, on laisse Kevin Drumm à ses bourdons et nous allons vers la salle suivante. Pour voir les (presque) régionaux de l’étape.
Hookworms ! Le quatre titres en écoute sur Spotify m’avait bien enthousiasmé. Et c’est le cœur plein de joie que je me prépare à voir les cinq gars de Leeds.
Julian Cope a parlé d’eux comme d’un shoegazing Lynyrd Skynyrd, ce qui est difficilement imaginable je vous le concède. Mais se faire adouber par le chantre du krautrock et de la musique différente, c‘est un bon début pour un jeune groupe. A l’écoute on ne sent pas trop le côté shoegaze (enfin peut être avec la variété d’effets utilisés par les gars), mais par contre les influences du krautrock et de la Kosmische Musik sont quant à elles bien évidentes.
Le synthé et la répétition des motifs de guitare (ils peuvent, ils sont deux sur la scène) font doucement monter les chansons vers des sommets d’intensité. Ça se construit tout doucement, à la manière des groupes de psych-rock des années 60/70. Le groupe construit ses morceaux au fil des improvisations, les chansons sont de longues plages pleines d’émotions, on peut penser là à des groupes comme Spacemen 3, à Spectrum, aux débuts de The Verve (ou même à Spiritualized –erk-).
Fin du concert, on se dépêche d’aller dans la salle où va jouer Dylan Carlson (oui, le mec d’Earth et aussi le copain de Kurt Cobain, si si). On a déjà croisé dans les allées de l’usine sa tête de rescapé, de fantôme revenu de tout.
Là il est sur la scène dans un set up très minimaliste, avec un batteur, muni seulement d’une caisse claire et de cymbales, avec une figure de proue (je n’ai pas d’autre mot, voir cette autre figure de proue pour comprendre le concept) boudeuse, campée derrière un pupitre armée d’un iPad (génération Y oblige, ou alors frime, je n’ai pas décidé, elle s’appelle Teresa Colmonacco si vous êtes curieux), et lui avec sa guitare et ses tatouages assis sur la gauche de la scène. Devant, le public est sage, et regarde attentivement la scène.
Le concert commence dans un silence respectueux, les musiciens sont concentrés, et la grande fille déclame ce qui ressemble à des vers classiques (ou alors de la poésie urbaine). En tout cas ce n’est pas désagréable
On pense un peu au Velvet Underground, à PJ Harvey aussi, d’ailleurs je me demande s’il n’y avait pas une ou deux reprises dans le tas. Mais en l’absence des spécialistes des reprises –aucun représentant du monde des experts musicaux français ici, c’est vrai que le festival n’est pas vraiment un truc de poseurs en même temps-, je ne saurai pas donner de réponse définitive.
Mais en tout cas la prestation de Dylan Carlson et de ses acolytes est un petit moment de tranquillité, de calme et de grâce (oui oui) dans la fureur ambiante.
Retour à la Old Library pour assister à une autre prestation attendue, Warm Digits, le duo guitare/machines et batteries et leur krautrock dansant. Comme prévu c’est puissant et très plaisant, on sent que les gars ont dû commencer leur carrière avec du Big-Beat.
Mais là ils sont tournés vers les plaines désolées du Kraut et de la Kosmische Musik, avec ces motifs répétitifs et des boucles hypnotiques, portées par un batteur au débit de mitraillette.
Ah et en disque ça donne ça:
Il faut cependant quitter les lieux rapidement, parce que dans la salle Boxxed, il y a Merzbow, Masami Akita, mythe du bruit et de la musique expérimentale (oui à Supersonic pour résumer il n’y a que des mythes obscurs, mais au moins ça change des groupes foireux de britpop ou des trucs qui font du postpunk photocopié).
Je me glisse derrière les barrières et j’assiste aux préparatifs du concert. Première surprise, le maestro n’est pas seul sur scène, il a des copains, un batteur qui a l’air prêt à tout donner, un guitariste (qui n’est autre que le guitariste d’Oxbow, Nico Wenner), et des micros de chant, aussi, mais je vais y revenir sur ces micros de chant.
La scène se vide, tout seul derrière sa table, très concentré Merzbow commence sa valse satanique, son instrument de bruit, un alliage astucieux d’une boîte de film de cinéma, d’un cric à poids lourd, de ressorts de canapé et d’une boîte géante de cachous (!) commence ses longues mélopées, l’air ambiant se remplit de bruit, présence physique écrasante. Puis le batteur s’installe et commence à jouer, oh rien de particulier, juste des breaks pour accompagner le chaos, rythmique de l’apocalypse.
Puis je l’ai vu, il est arrivé doucement malgré le bruit qui fait paniquer, derrière l’ampli, il a enlevé posément sa veste, il l’a pliée avec application avant le la poser sur une boîte. Puis se redressant le regard droit devant, le visage figé, comme emporté par une vague d’émotion.
Ses pieds ont frappé le sol, l’un après l’autre ils se sont posés sur le bois de la scène, jusqu’à l’amener tout devant, devant le public et les photographes qui se sont immédiatement tournés vers sa présence presque incongrue. Derrière ses machines, penché sur son instrument, Merzbow n’a pas cillé, je ne sais même pas si il a remarqué sa présence.
Ses pieds ont frappé le sol, ses jambes se sont agitées, Une danse barbare, comme en transe, les yeux révulsés, la bouche ouverte comme à la recherche d’un second souffle. S’emparant du micro il a crié, on ne l’a pas entendu, il ne s’est sans doute pas entendu lui-même, mais son corps était tout entier possédé par la musique.
Il a dansé encore un peu, il a encore crié, il a encore chanté, puis il est parti, tout doucement, un pas après l’autre, il a déplié sa veste, il l’a remise, et il est parti. Eugene Robinson est le chanteur possédé d’Oxbow, c’est un génie, il est libre et il fait ce qu’il veut, tant qu’il peut plier sa veste et la ranger.
Après cette apparition le concert continue, il ne s’est d’ailleurs même pas interrompu, Merzbow, même en formation live étendue, avec un groupe, reste un homme seul, contrairement aux autres artistes noise pour qui le show (off) est important, pour qui il y a des artifices, des accessoires : cf Kakawaka et sa fourchette ou même Justice Yeldham et ses bouts de verre. Il est seul, et le bruit c’est son boulot, il ne sourit pas, il est tout entier dévoué au bruit, à ses machines, aux textures étranges de sa musique, à ses craquements pleins de distorsion. Vois Merzbow en concert c’est une expérience physique, le public est tassé dans la petite salle, les yeux écarquillés la bouche bée. Le concert aurait même pu durer 3 heures, tout le monde serait resté, tant la fascination exercée par le musicien est grande.
En disque, enfin sa dernière production :
Mais on est en festival, et on est partis, parce qu’il fallait faire une pause shopping, parce qu’il fallait se remettre un peu de nos émotions, donc direction le coin cuisine du festival.
Et puis la boutique à nouveau, au calme, avant la fermeture pour regarder à nouveau ces monceaux de disques.
Le groupe suivant la pause, Hype Williams, groupe nimbé de mystère. Bon apparemment, pour eux, le mystère c’est une (très) épaisse fumée d’ambiance dans la salle, et aussi une dame blonde sur une grosse moto.
Leur musique est un mélange de pop, d’électro, de dub, et de dubstep. Mais la caractéristique principale du groupe c’est qu’on a l’impression que tout est joué en même temps. Si ce n’est pas vraiment de la bouillie sonore, on n’en est pas très loin. De la musique pour producteur, pour oreilles entraînées pas de mélodie vraiment reconnaissable, toute tentative d’embellissement a l’air proscrite, mais en même temps il y a des petites choses remarquables, des éclairs de mélodies que l’on a l’impression de reconnaître.
Pour résumer, la bande originale de la dernière fête avant la fin du monde, de la musique 2.1 pour ne pas perdre de temps, les anglais ont créé le concept de la ratatouille musicale, finalement.
Après avoir respiré des fumigènes avant d’aller voir The Bug et son ragga dub futuriste et bruyant, on s’est dit qu’un petit peu plus de musique extrême japonaise pouvait nous faire du bien.
On se retrouve donc devant les Zeni Geva, avec le guitariste KK Null et son batteur qui ressemble à un professeur de mathématiques. Ils jouent un Death Metal chimérique, mélangé avec une foule d’autres influences comme le Drone ou le rock progressif.
C’est porté par une batterie omniprésente, puissante (oui le professeur de maths frappe comme un Mammouth), par des hurlements, et des riffs tout droits venus de l’enfer (ou de Norvège d’ailleurs) joués par le guitariste hyperactif.
Le concert est assez impressionnant de maîtrise technique et de variété, et même si je ne suis pas forcément attiré à la base par ce type de musique, je reste assez scotché par la performance.
Pour avoir une idée :
Pour se finir par un déluge sonore et en dansant un peu sur de grosses basses, rien de tel que The Bug et ses toasters de sound system straight from Kingston (ou de Londres plutôt). The Bug c’est un producteur multicarte, qui transcende les styles pour créer une musique de danse futuriste. C’est un admirateur à la fois d’Adrian Sherwood, de King Tubby, ou de Lee Perry et influencé aussi par des musiciens tels qu’Aphex Twin ou DJ Vadim.
Sa musique est dense, avec des variations subtiles, et des basses énormes qui font se retourner les entrailles. Les chanteurs sont très au point et font danser doucement le public. Le niveau sonore devant la scène est à la limite du soutenable, à la régie tous les chiffres sont dans le rouge.
En somme le final idéal pour un petit weekend plein de bruit et de fureur, et de vrais moments de grâce. On part doucement des lieux, et on marche un peu en ville, en croisant les zombies du samedi soir, et des filles un peu court vêtues.
Bonus :
Avant de prendre l’avion je suis retourné à l’usine pour voir le concert de Richard Dawson. Et je n’ai pas été déçu. Le petit bonhomme ne paie pas de mine, avec son air de gentil fou qui vit avec ses douze chats (bon je ne suis pas sûr que la réalité soit différente en fait).
Il raconte des histoires sur ses grands-parents décédés, sur sa famille envolée, sur des chevaux perdus, et sur ses chats morts ou vivants. Il chante tout seul, sans accompagnement, une voix déchirante, une voix qui dépeint des histoires tristes. Et parfois, il attrape sa petite guitare, et il joue des morceaux courts, plein de notes, et c’est finalement assez proche de ce que faisait Sir Richard Dawson le samedi.
Je me dis que j’ai bien fait de repasser voir le petit bonhomme et je peux prendre l’avion avec la satisfaction d’un weekend bien rempli et bien réussi.
Oh et aussi, je me suis un tout petit peu aidé de ça pour pouvoir décrire l’arrivée de Eugene Robinson sur la scène pendant Merzbow.
(Je ne sais pas qui tu es, Clumsy, mais j’aime bien ce que tu dis par moment dans cet article).
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