« Certaines n’avaient jamais vu la mer » de Julie Otsuka

Au début du XXème siècle, des japonaises sont envoyées aux États-Unis pour épouser des immigrés de plus longue date. Elles rêvent d’une vie meilleure- déjà l’aspiration à l’american life. Or après une longue et éprouvante traversée, elles vont se retrouver mariées à des ouvriers sans le sous, souvent violents et alcooliques. Elles mèneront une vie rude, sans amour, sans tendresse, sans répit. Elles seront confrontées au mal être du déracinement, au tragique des discrimination, à la souffrance morale et physique quotidienne.

C’est sur cet épisode méconnu que Julie Otsuka livre un bref roman poignant d’une grande intelligence. Sa prose – répétitive, quasi-incantatoire, et les modalités narratives qu’elle a choisi – une originale seconde personne, sont absolument cruciales dans la réussite de « Certaines n’avaient jamais vu la mer ».

Avec une singulière poésie, Otsuka offre un récit choral qui se fait l’écho de toutes ces femmes et de leurs misérables vies d’exilées, qu’elles se retrouvent agricultrices, bonnes ou prostituées, de leur arrivée à leur déportation au début de la seconde guerre mondiale.

Outre l’art de la subtilité, Otsuka maîtrise à la perfection celui de l’ellipse choisissant de découper son roman en moments ou thèmes clés de la vie de ces femmes (la première nuit, les blancs, les naissances, les enfants, etc.) quitte à ce que la narration soit parcellaire ou éclatée.

C’est dur, violent, sans pathos – à l’image de la résignation emblématique de ces femmes, et pourtant, le lecteur se laisse porter par cette écriture limpide, absolument maîtrisée et sans fausse note, qui en dit peu pour en signifier beaucoup.

On n’est pas que touché, on est avec elles, dans leur triste quotidien.

Quand on achève la lecture, on se dit que l’on vient de toucher à une forme de virtuosité littéraire. « Certaines n’avaient jamais vu la mer » est une pépite rare.

 

Certaines n’avaient jamais vu la mer de Julie Otsuka (Phébus)
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Carine Chichereau – août 2012 – 143 pages – 15 euros.

 

 

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