« Nouveau Roman » au Théâtre de la Colline – chronique subjective d’une proposition jubilatoire

Je connais bien  la filmographie de Christophe Honoré – à mon sens singulière, sensible, intelligente et pleine d’acuité. Il signe à lui seul plusieurs de mes films cultes, films de chevet que je prends plaisir à revoir et revoir, à faire découvrir, sans doute parce qu’il sait offrir une vision qui entre en résonance avec mes ressentis et me donne toujours matière à m’identifier tout en conservant une part de romanesque et d’invention magiques.

Je n’avais jamais vu son travail en tant qu’homme de théâtre et la proposition qu’il nous fait aujourd’hui avec « Nouveau roman »dont il signe l’écriture et la mise en scène, présenté à La Colline jusqu’au 9 décembre est une opportunité formidable pour découvrir une nouvelle facette de ce créateur décidément inclassable, surprenant et réjouissant.

Honoré invente ici quelque chose d’inédit: le spectacle d’écrivains. Il s’agit de raconter in vivo cette aventure humaine et littéraire qu’a constitué le Nouveau Roman autour de l’éditeur Jérôme Lindon et de ses auteurs « phare »:  Simon, Robbe-Grillet, Sarraute, Butor, Duras, Ollier, Pinget ou Claude Mauriac.

L’idée géniale de cette proposition théâtrale et ce qui va faire tout son charme, son piquant et son intérêt est de mettre en scène des conversations fictives mais possibles entre ses différents acteurs incarnés par des comédiens qui ne font rien pour leur ressembler. C’est un jeu, au sens enfantin du terme, sur le mode du « on dirait qu’on serait ».

On retrouve dans le casting certains des comédiens fétiches d’Honoré: Ludivine Sagnier, Anaïs Demoustier, Jean-Charles Clichet, Sébastien Pouderoux ou Julien Honoré notamment, et d’autres : Brigitte Catillon, Anne Mercier, Mélodie Richard, Benjamin Wangermée, Mathurin Voltz. Mais peu importe qu’ils soient ou non des fidèles du réalisateur: ce qui importe c’est qu’ici, ils parviennent à trouver un véritable esprit de troupe, une complicité qui rend ce jeu possible et réussi. Malgré une écriture que l’on devine mûrie et travaillée, il émane de la pièce une spontanéité qui sonne juste sans une once de superficialité, d’artificialité, ce justement parce que le spectateur sait qu’il est dans le faire-semblant et non dans l’imitation.

Nous voilà donc, en l’espace de 2h50, plongés dans le petit monde des Éditions de Minuit entre les années 50 et les années 80-90 avec en ligne de mire non seulement les enjeux théoriques et littéraires que représente le Nouveau Roman, mais aussi les enjeux d’égo, d’affect et de pouvoir qui ont traversé un groupe d’auteurs unis tant par leur intérêt commun que par leurs différences.

Je n’ai pas de sympathie , pas d’affinité particulière pour ce courant littéraire dont le formalisme me gâche parfois le plaisir sensible de la lecture. J’avoue ne pas en être non plus une experte, toutefois, et c’est sans doute le preuve qu’Honoré réussit son pari, il parvient à nous mettre en empathie avec ces auteurs que nous avons peut-être lu, dont nous connaissons – ou non d’ailleurs, les noms, mais dont, faute d’être né dans les années 80, nous ne percevons pas la personnalité, l’humanité, séparés d’eux que nous sommes par les années et la distance de l’écrit.

Alors bien sûr, ça parle de littérature et d’édition mais pas à la façon somme toute rebutante des universitaires. Bien au contraire: le mode est celui du jubilatoire, à la fois érudit et drôle, dynamique et vivant. Les scènes, entrecoupées d’extraits vidéos ou de passages chantés, s’enchaînent avec fluidité et vivacité, sans perte de rythme.

De manière surprenante, on rit beaucoup devant ce spectacle certes lettré mais ce sans aucune prétention. On savoure la manière dont sont campés les personnages, mention spéciale à Jean-Charles Clichet en Robe-Grillet à l’égo surdimensionné et Mélodie Richard en femme soumise de celui-ci. Mais chacun des comédiens à louer pour des interprétations fraîches et enthousiastes.

Ce « Nouveau Roman » est un vrai bonheur de spectateur, intelligent et accessible, brillant, ardant et généreux. On en ressort stimulé, le sourire aux lèvres et l’envie de poursuivre le débat – en chantant si possible!

 

 

 

« Nouveau Roman » au Théâtre de la Colline

texte et mise en scène: Christophe Honoré

avec

Brigitte Catillon, Jean-Charles Clichet, Anaïs Demoustier, Julien Honoré, Annie Mercier, Sébastien Pouderoux, Mélodie Richard, Ludivine Sagnier, Mathurin Voltz, Benjamin Wangermée

 

création au Festival d’Avignon

Grand Théâtre

du 15 Novembre 2012
au 09 Décembre 2012

durée 2h50

du mercredi au samedi à 20h30, le mardi à 19h30 et le dimanche à 15h30

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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  1. Happiness In Uppsala » Les tops de l’année 2012. Spectacles

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