Il y a longtemps, Aphex Twin était avant tout de la musique d’outcast ou de geek musical. On pense aux fulgurances soniques de Come To Daddy, au pourtant très pop Widowlicker, en passant par les tonalités lancinantes de Ventolin, et bien entendu on ne mentionne pas les premiers albums qui oscillent entre musique très expérimentale et délire sonore. Le genre de trucs que des gars un peu étranges écoutent assis sur leur lit dans des chambres de cité (les gars que tu vois au RU et que tu n’as pas trop envie d’avoir comme voisin de table). Depuis, après un rebranding pas toujours très subtil, la musique électronique expérimentale est bankable et super cool, des vieilles gloires parfois obscures monnayent leur bribes de créativité passée dans des DJ sets hélas souvent proches du pathétique (ou du vide majuscule).
Aphex Twin a plutôt échappé à tout ça (quoique…). On est en 2014, annoncé depuis plusieurs semaines par une grosse machine de com estampillée éléphant indé décalé, le nouveau disque d’Aphex Twin s’appelle Syro. Déjà les amateurs des productions anciennes de l’anglais bidouilleur risquent d’être déçus, le nouveau disque n’apporte rien de détonnant, et on peut même raisonnablement penser que Richard James s’en fiche totalement. Il n’y a pas de tube sur le disque, on ne dansera pas sur du Aphex Twin pendant l’happy hour ; et il n y a pas non plus de déflagrations soniques comme dans certains des ses morceaux précités.
Par contre on a disque qui dure une heure, où chaque morceau, chaque son est maniaquement arrangé. Syro est un monolithe parfait, foisonnant, d’une grande richesse sonore. Les mélodies sont parfaitement construites, et chaque morceau (ou presque) est un joyaux unique. On retrouve avec plaisir tout ce qui fait Aphex Twin, le triphop malade, la drum n bass cassée, les leads dissonants, et les voix mystérieuses et chargées d’effets. On retrouve aussi bien sûr les titres totalement cryptiques qui font la marque de fabrique de l’anglais (regardez la liste en dessous, amis cryptologues vous allez aimer).
Dans toute cette richesse musicale, on peut dégager quelques très bons moments. Déjà le premier morceau, minipops 67 [120.2][source field mix], belle ouverture de l’album, un des morceaux à écouter soit au casque soit très fort dans ta chambre. C’est le moment presque chantant de l’album, on peut même y trouver un refrain qu’on pourrait presque chanter. Le morceau CIRCLONT6A [141.98][syrobonkus mix] peut faire un peu penser à ce que faisait l’artiste avant, mais avec plus de profondeur et de richesse sonore (la technologie et les logiciels évoluent). On y trouve des glitchs et des sons de jeux vidéos, et toujours cette même application maladive dans les arrangement. On retrouve aussi les interludes, ces morceaux plus courts mais qu’on a envie de voir s’allonger et donner la pleine mesure de leur richesse mélodique (fz pseudotimestretch+e+3[138.85] et son lead interrompu en plein vol ou PAPAT4[155][pineal mix] avec son début presque baléarique 80’s et sa rythmique aquatique coupés court).
Pas d’album électronique sans sa balade au piano, histoire de montrer qu’on n’est pas seulement un tourneur de boutons ou un as du trackball. Richard James est coutumier du fait depuis bien longtemps et bien entendu sa dernière distribution ne déroge pas à la règle avec aisatsana[102] pour clore l’album. Pour finir en beauté, on a un morceau minimaliste, avec des cris d’oiseaux subtils dans le lointain et un lead presque imperceptible. On n’est pas devant un album qui va marquer l’auditeur de manière très durable, mais Syro est plus subtil, sa beauté ne se révèle qu’au fil des écoutes et ses perles dissimulées ne se donnent pas facilement . On ne les perçoit qu’après une pratique assidue et c’est le moins qu’on peut attendre d’un album d’un fou créatif comme Aphex Twin.
Aphex Twin – Syro (Warp, 2014)