« La femme qui tua les poissons » au Théâtre de la Bastille

Il faut un peu de temps pour rentrer dans le quasi-monologue que propose Bruno Bayen en portant à la scène des chroniques du quotidien écrites par l’écrivain brésilienne Clarisse Lispector. Sans doute s’agit-il d’instants nécessaires pour s’abstraire de la vie du dehors et accepter de pénétrer un univers un peu décousu, un peu fou. Pour accepter d’être mené par le bout du nez par une femme indéterminable dont on ne sais si le « je » est celui du « moi » ou d’un quelconque personnage de fiction.

Passé la frontière de l’embarras crée par l’absence de fil conducteur – du moins sait-on là où l’on va arriver, on se laisse emporter par le charme étrange de l’atmosphère ici créée. Si la mise en scène et l’astucieux habillage sonore contribuent bien évidemment à délivrer cet onirisme captivant qui fait le grain de la pièce, c’est bien la formidable Emmanuelle Lafon qui porte « La femme qui tua les poissons ».

Pleine de charisme, de charme et de singularité, de folie sans doute, aussi, en travaillant tout autant le corps que le texte,  elle est la pierre angulaire de la pièce.  Avec un jeu un rien délicat et somme toute assez fantasque, elle incarne toute entière cette romancière entre deux âges dont on ne sait jamais trop si ce qu’elle dit est le pur fruit de son imagination ou un rapport de sa vie.

Parfois mutine comme une gamine de sept ans, parfois femme fatale avec ce quelque chose de baroque, mais aussi de fragile que l’on autorise qu’aux artistes, elle nous embarque dans une sorte de monde parallèle, où le temps ne semble pas être tout à fait le même que le nôtre. Sans cesse, s’entrechoque le plus prosaïque au plus métaphysique, mais l’un entrainant l’autre et réciproquement, sont-ils si éloignés?

Son petit monde est peuplé de chauffeurs de taxi, de petits animaux, d’amies, d’enfants, de souvenir d’hommes et son récit surprend autant qu’il questionne. Il est aussi, et beaucoup par l’héroïne qui l’invente à mesure qu’elle le raconte, très touchant. Emmanuelle Lafon, surprenante et protéiforme, parvient à trouver un ton et des attitudes très justes pour nous faire rire – non pas de son personnage, mais des réflexions vers lesquelles l’observation du quotidien la mène.

C’est une bien belle et en tout cas singulière et délicieusement étrange « version du monde » qu’il nous est donné à voir ici quoique l’on puisse parfois être frustrés par cette impressions de passer du coq à l’âne.

La Femme qui tua les poissons
d’après La Découverte du monde de Clarice Lispector
Adaptation, Mise en scène, Bruno Bayen
Collaboration artistique et lumières, Philippe Ulysse
Décors et costumes : Renata Siqueira Bueno,
Collaboratrice à la scénographie, Sabrina Montiel-Soto
Avec Emmanuelle Lafon, Vladimir Kudryavtsev

Théâtre de la Bastille
Adresse : 76, rue de la Roquette – 75011 Paris
Métro : Bastille, Voltaire, Bréguet-Sabin
Réservation : par téléphone et sur place
du lundi au vendredi de 10h à 18h
le samedi de 14h à 18h, 01 43 57 42 14
www.theatre-bastille.com

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